Réflexion

27 juin 2022

Fabrice Hadjadj - On s’inquiète de la nature, mais cet écologisme est miné par un paradigme technologico-capitaliste

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Antoine Bueno, essayiste, prospectiviste, plaide pour un « permis de procréer » afin de lutter contre le réchauffement de la planète. Fabrice Hadjadj, philosophe et père d’une famille nombreuse, défend les raisons qui peuvent pousser un couple à faire l’amour sans «le dernier rapport du GIEC» ouvert sur le lit.

Il y a des manières de dire qui, sous leurs dehors anodins, sont exterminatrices. Cela suppose que certaines personnes ne devraient pas être là, et qu’elles ont moins de dignité que nos théories et nos planifications. Cette manière de dire porte un nom, c’est le totalitarisme : les personnes ne sont plus que les parties d’un Tout, et au nom du Tout, on pourrait les éliminer, ou du moins rêver d’un monde meilleur, sans elles.

On s’inquiète de la nature, on se veut vert, mais nos yeux sont rivés à des paramètres, à un tableau de bord dont le seul vert considéré est celui de ses «voyants» de contrôle. Cet écologisme est dès le départ miné par un paradigme technologico-capitaliste. J’en veux pour preuve l’expression «capital naturel». La vie peut-elle se ramener à des problèmes techniques ?

Il faut d’abord constater qu’une famille nombreuse, même en Europe, ne consomme pas comme une addition de célibataires : elle n’en a pas les moyens, et la vitalité de son anarchie permanente la garde de recourir à la multiplication des divertissements. Son mode de vie est plutôt sobre et sédentaire. Deuxième remarque: l’homme n’est pas qu’un être de nature, mais aussi de culture. On m’accuse d’écocide, soit, mais je pourrais accuser en retour de contribuer au suicide démographique de l’Europe. Nos pays sont très en dessous du « seuil de renouvellement ». Enfin, le point décisif : ma famille est nombreuse, mais je n’en fais pas un étendard ni un programme pour les autres. La politique doit s’arrêter au seuil de la chambre conjugale.

La nature en elle-même n’est pas un simple cycle harmonieux, elle est une histoire dramatique et fatale, et Darwin répète que l’évolution des espèces est fondée sur une destruction effroyable d’individus. Puis il ajoute que la compassion est le propre de l’homme. La contradiction d’un certain écologisme est de vouloir protéger la nature contre elle-même, c’est-à-dire d’ignorer son drame intrinsèque, d’espérer rendre le lion végétarien, enfin de se soucier des générations futures en interdisant les générations présentes. Or nous ne pourrons jamais abolir un certain tragique de la vie sans abolir la vie elle-même. L’alternative est dans une révolution spirituelle et matérielle. Un mode de vie plus sobre, non parce qu’il y a le réchauffement, mais parce que c’est mieux ainsi.

À quoi bon donner la vie à un mortel ? Ça sera toujours pour alimenter la vermine, et une vermine qui est elle-même condamnée au froid intersidéral. Alors pourquoi ? Le bien-être ? C’est le mot qui revient. Mais le bien-être extérieur n’empêche pas le désert intérieur. On peut se faire sauter le caisson avec un revolver en or. Si l’Europe est si désespérée, aujourd’hui, c’est parce qu’elle a coupé ses racines gréco-latines et ses ailes judéo-chrétiennes. Péguy, qui avait quatre enfants, et Bernanos, qui en avait six, le savaient bien. Avant la gestion par les robots, il y a la foi en une vie risquée, qui se reçoit et se donne pour rien, pour la grâce, c’est-à-dire, aussi, pour une gloire éternelle.

Source : Le Figaro

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